Ce qui nous lie, version Chablis

C’est une histoire de vigneron baroudeur qui parcourt le monde et qui revient dans son terroir natal pour y bousculer les traditions : le cinéaste Cédric Klapisch aurait pu s’inspirer de la vie Richard Rottiers pour le personnage principal de son film « Ce qui nous lie ».
Il a quitté le Chablisien pour parcourir le nouveau monde. Il a découvert la Californie au tournant du millénaire, au temps où le Chardonnay au goût de tisane y était tendance. Il est parti ensuite en Nouvelle Zélande pour y dénicher des planches flottant dans les cuves de sauvignon blanc, afin de lui donner un palet vanillé. Il a poursuivi son tour du monde jusqu’en Afrique du Sud. « J’ai vu ce que c’était que des vignobles neufs. Et j’ai mesuré la chance que nous avions en France avec nos vignes anciennes, avec des cépages adaptés aux terroirs ».
Avec un tel raisonnement, tout laissait supposer que Richard rentrerait à Chablis pour puiser dans la minéralité qui rend ce chardonnay si différent du californien. Eh bien, non ! Il a franchi la ligne rouge, celle qui sépare le pinot noir du gamay. Il a jeté son dévolu sur… le Beaujolais. Même Klapisch n’est pas allé aussi loin dans son film.
« Il est un fou », susurraient ses amis de Chablis. « Il est fou », ont repris en cœur ses nouveaux voisins quand ils ont vu débarquer ce Bourguignon dans le Beaujolais. D’autant que l’appellation connaissait des heures sombres. « La crise de chez crise », se souvient Richard. C’était il y a une dizaine d’années. Le Beaujolais nouveau avait plombé le vignoble, avec son goût de banane. Le troisième vendredi de novembre, beaucoup se demandaient si le la soirée de la veille était sponsorisée par Alka Seltzer ou Doliprane…
« Stop au Beaujolais Bashing ! », interrompt Richard, fervent défenseur de ce vignoble. Il se définit comme un « amoureux du Beaujolais ». « C’est le terroir où le Gamay s’exprime le mieux », explique-t-il, convaincu que cette appellation a repris des couleurs ces dernières années. Il est prisé par ceux qui recherchent des bons crus à des prix intéressants. Richard s’est positionné sur le haut de gamme avec son Moulin-à-vent. Il a aussi et surtout converti son vignoble en bio.
Depuis le début de l’année, Richard passe à nouveau pour un « fou ». Cette fois-ci, sur sa terre natale. A 40 ans, il est rentré au pays tel l’enfant prodigue, avec le défi de reprendre le domaine familial des Malandes et le passer en… bio. Un pari risqué dans le Chablisien. Surtout après les millésimes 2016 et 2017 qui ont mis à rude épreuve les producteurs de Chablis bio… et les autres aussi.
Qu’importe ! Au 1er janvier, il a repris les commandes du domaine avec sœur Amandine, qui se charge de la partie administrative. Dès le premier jour, Richard a amorcé la conversion du domaine. Mais le vigneron a la tête sur les épaules et les pieds solidement ancrés dans le kimméridgien. Il se donne dix ans pour convertir les près de 30 hectares du domaine en bio. Une transition en douceur. Pas question de faire des folies. « Cette année, on ne peut pas se permettre d’avoir une petite récolte », après les faibles volumes de 2016 et 2017. Richard est patient, comme il l’a été dans le Beaujolais. Là-bas, il a mis cinq ans pour convertir ses 7 hectares.
Il a failli craquer en 2016 quand le mildiou dévastait ses vignes de gamay. Le hasard a voulu qu’un orage de grêle dévastateur s’abatte sur le vignoble juste à l’instant où il envisageait de renoncer au bio. « Plus de 80% de la récolte a été liquidée. Foutu pour foutu, je me suis dit qu’il ne valait pas la peine de renoncer ». Il n’a pas remis les compteurs à zéro pour la conversion. Cette expérience l’a aguerri avant son retour à la case départ, à Chablis.
Labour à cheval à Vaudésir en mars
Pour sa première année, Richard passe en bio uniquement sur ses grands crus, du Vaudésir et une petite parcelle des Clos, extrêmement bien située. Le cheval a labouré les vignes en mars. C’était le premier signe extérieur du changement aux Malandes.
A l’intérieur, en revanche, pas de bouleversement. L’œnologue Guénolé Bréteaudeau est resté aux manettes de la vinification. « Il a imprégné sa patte avec des vins purs, très minéraux, très droits. J’adore ça. C’est notre style », se félicite Richard. « Moi, je ne m’occupe que des vignes ». Ils font un sacré duo : Guénolé arrive du Muscadet, Richard débarque du Beaujolais. Avec de pareilles cartes de visite, ils ne partaient pas avec les faveur de la cote. A eux deux, ils veulent montrer ensemble de quoi ils sont capables sur du Chablis.
Mais sans révolution : « Ce qui m’intéresse, c’est d’entretenir cet héritage de terre, toutes ces vignes plantées par mes parents et mes grands-parents. Je ne veux pas détruire ce patrimoine. Je veux l’entretenir », affirme-t-il.
Richard pense déjà à la transmission. C’est pour ses enfants qu’il veut faire du bio. « Il ne faut pas passer au bio pour l’argent, mais par conviction. Il faut avoir envie d’avoir des sols vivants, de ne pas mettre des saloperies dans l’environnement, de pouvoir regarder ses enfants en face ». Cette phrase-là, à coup sûr, elle aurait eu sa place chez Klapisch.
Domaine des Malandes, 11, route d’Auxerre, 89800 Chablis

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