Domaine Pommier, l’esprit de survie


Lorsqu’ils ont achevé les vendanges, en septembre 2017, Isabelle et Denis Pommier ont renoncé à fêter la peulée comme chaque année avec leurs proches et leurs employés. Le cœur n’y était pas. Pour le deuxième millésime consécutif, les éléments s’étaient acharnés sur le Chablisien. Le domaine était entré en résistance pour garder son label bio. Il était en mode survie.

L’idée de « la cuvée de survie » avait surgi un an auparavant au terme d’une année où les pires fléaux s’étaient abattus coup sur coup sur le vignoble chablisien. La gelée noire avait « cramé » les bourgeons à l’aube du 27 avril, la grêle dévasté les vignes quelques semaines plus tard et le mildiou s’était acharné sur les raisins survivants se propageant grâce à un printemps pluvieux. Un déluge qui avait emporté avec lui les défenses traditionnelles du bio.

Nature ingrate

Au mois de juin 2016, lorsqu’ils ont vu comment le mildiou attaquaient leurs dernières grappes, plusieurs vignerons bio ont craqué. Ils ont traité leurs vignes, remettant les compteurs à zéro pour trois années de conversion avant de récupérer leur label. Il s’en est fallu de peu pour que Denis Pommier ne renonce aussi. « C’était une époque où l’on ne savait plus quoi faire. J’ai acheté le produit, mais j’ai été incapable de traiter et je l’ai rendu », admet-il. Il se souvient encore d’une parcelle « magnifique » qui s’est dégradée irrémédiablement sous ses yeux sans qu’il puisse faire quoi que ce soit.

La cuvée Grain de survie 2017
« Ne pas revenir en arrière »

Denis Pommier avait pris la décision de passer au bio en 2008. Il avait 43 ans, l’âge auquel son père était décédé d’un cancer. Pas question de revenir à la culture traditionnelle. « Cela aurait été un échec », confesse-t-il. « C’est dans les moments difficiles que l’on grandit ». Il s’est acharné pour sauver ses vignes, tout essayé, des écorces d’oranges douces aux algues. A l’heure du verdict, après les vendanges, le domaine avait perdu plus de la moitié de sa récolte. Il fallait trouver une solution pour passer l’hiver. C’est alors que la famille Pommier, réunie au complet, a eu l’idée de donner le nom de « grain de survie » à son appel au secours.  « Message in a bottle », aurait chanté Police.


Dans l’urgence

« Nous avons réagi dans l’urgence », se souvient Isabelle. Après les vendanges, grâce à une connaissance, le domaine a déniché chardonnay dans le sud de la France, à Limoux pour être précis, loin de la Bourgogne. Un « vin de France » dont Denis Pommier a parachevé la vinification dans son domaine.

« Nous avons cherché un nom pour faire ressortir ce que nous vivions, que les gens comprennent ce que nous ressentions », explique Isabelle. Cette cuvée, ce n’était ni du Chablis ni du bio. « Ce n’était pas évident pour nous », se souvient-elle. Si le nom de la cuvée n’était pas assez clair, l’étiquette ne prêtait à aucune confusion. Réalisée par l’artiste Portalis, elle évoquait l’abondance d’eau de cette année-là et la renaissance avec le retour du soleil. « Nous avons senti de la compréhension et surtout de la solidarité, notamment à l’export », souligne Isabelle.

Une deuxième cuvée

Les Pommier n’étaient pas au bout de leurs malheurs. Au printemps 2017, le gel a dévasté une nouvelle fois leurs vignes. La récolte s’annonçait encore plus maigre qu’en 2016. Pour la deuxième année consécutive, ils lançaient l’opération « grain de survie », cette fois-ci dès le printemps, sans attendre les vendanges, avec des raisins qu’ils ont récoltés eux-mêmes dans l’Yonne, en particulier du côté Joigny. Une cuvée déclinée en quatre versions : Bourgogne Chardonnay, Bourgogne Rouge, Côte d’Auxerre et Pinot Beurot (pinot gris). Une création Pommier que de faire à partir de de ce cépage, connu en Alsace comme du pinot gris, une cuvée à 100% au royaume du chardonnay.

Les premiers cours 2018
De quoi tenir un an de plus, jusqu’à ce que la récolte de 2018, enfin abondante, soit mise en bouteille. Ce millésime généreux a épargné de nouvelles épreuves au Chablisien. En septembre, la peulée a fait son retour au domaine Pommier à la fin des vendanges. Un mois plus tard, invités par Les Climats à Paris pour leur « paulée », comme on appelle cette fête en Côte d’or, Denis et Isabelle se sont enfin lâchés. « Si nous avons survécu à ces deux années-là, nous ne sommes pas prêts à revenir en arrière. Il ne peut pas y avoir pire ». Le mode survie a été désactivé.



Par Antonio Rodriguez/ChablisNews

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Commentaires

  1. "plusieurs vignerons bio ont craqué. Ils ont traité leurs vignes". En bio aussi, on traite..il eut était plus précis de dire que plusieurs vignerons sont retournés à la chimie et d'autres non�� bravo à Isa et Denis pour leur travail

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