Guillaume Vrignaud: du bio à la Lennon



Guillaume Vrignaud aurait pu chanter avec Lennon « just like starting over » quand il a « tout repris à zéro » après le cruel printemps de 2016. Il a traité ses vignes pour les sauver. Il a pris trois ans ferme de reconversion pour retrouver son label bio. « Un mal pour un bien », assure deux ans plus tard ce vigneron qui songe déjà à la prochaine étape : la biodynamie.
Guillaume avait pourtant des circonstances atténuantes : il a agi en légitime défense de ses 27 hectares de vignes, qui livraient une bataille rangée contre un mildiou vorace. Ce printemps-là, il ne cessait de pleuvoir. Le bio prenait l’eau. Aussitôt appliqué sur les feuilles, la bouillie bordelaise était « lessivée », entraînée par l’eau de pluie. Un système de défense qui s’écroulait comme un château de sable quand revenaient les eaux de l’Atlantique. « Le cuivre protège tant qu’il est en contact avec la feuille, mais il est emporté par l’eau dès qu’il tombe 15 à 20 millilitres d’eau ».
Le vigneron bio doit passer entre les gouttes pour en remettre une couche, profiter de chaque accalmie. Difficile dans un domaine aussi grand. Quasiment impossible quand la pluie ne cesse de faire du « ça s’en va et ça revient ». Et la flotte, c’est comme Claude François quand il tourne en boucle, elle en devient soulante. C’était le printemps où le regard des caméras était tourné vers le zouave du Pont de l’Alma. En amont, le ciel avait ouvert les vannes sur Chablis et le mildiou surfait sur la vague.
« J’ai pris la décision d’intervenir en dix minutes », se souvient Guillaume, qui se définit comme quelqu’un « d’impulsif ». Il voyait le mildiou gagner le match. Il avait déjà perdu une grande partie de son millésime lors de la gelée noire à l’aube du 27 avril, quand le thermomètre avait plongé largement jusqu’à -7 et grillé les bourgeons. « Il ne restait presque plus rien et en plus il était attaqué par le mildiou ». Du coup, il est passé à l’acte pour protéger le peu qu’il restait sur pied. « En 2012, c’était déjà une année avec beaucoup de mildiou et je n’avais pas renoncé au bio. Mais là, le gel avait déjà fait tellement de dégâts… »
Le règlement, c’est le règlement, impitoyable : trois années de reconversion après une intervention non conforme avant d’arborer à nouveau le label bio sur l’étiquette. Et il est le même pour tous les vignobles. Qu’il se trouve dans une région humide comme l’Yonne ou sous le soleil des Côtes-du-Rhône, c’est pareil. « On est tous dans le même panier », reconnaît Guillaume qui se dit qu’il aurait beaucoup moins de difficulté à faire du bio dans le sud de la France qu’au nord de la Bourgogne.
Deux années plus tard, Guillaume nourrit des regrets. « Je n’aurais pas dû intervenir sur tout le vignoble ». Mais il ne s’avoue pas vaincu : « On repart à zéro et pour le millésime 2019, on sera à nouveau bio ». Pour lui, on ne choisit pas de faire du bio « par facilité » ou « pour gagner de l’argent », encore moins dans le Chablisien. « C’est une philosophie de travail. Je veux faire ressortir l’identité du terroir ». Il aime voir des fleurs pousser dans les rangs, de la mâche aussi comme quand il était enfant. Il s’agace que le client exige du bio au prix du Chablis traditionnel, ne prenne pas en compte toutes les épreuves qu’il doit surmonter avant de livrer sa bouteille de Fourchaume.
Guillaume « imagine » comme Lennon un monde meilleur, sans pesticides, où les grands groupes chimiques n’empêcheraient pas des produits sains d’émerger. Il évoque une méthode à l’essai dans le Bordelais et aussi en Bourgogne, à base de micro-algues qui protègent les vignes du mildiou. « Dans le bio, on se creuse la tête tous les jours. On fait des essais. On bidouille. On essuie les plâtres ».
Il y a de l’opiniâtreté chez Guillaume, une volonté de se relever quand les éléments le forcent à mettre le genou à terre dans les rangs, de ne pas accumuler les millésimes sans innover. « C’est un vigneron qui s’ennuie très vite », souligne son épouse Isabelle. Il n’aime pas la routine. Quand il a repris à la fin 1998 le domaine de son père, qui travaillait pour la Chablisienne, il a choisi de faire de la bouteille. « Je voulais faire mon vin, me lancer dans quelque chose de nouveau ».
Dix années plus tard, il s’est lancé en 2009 dans le bio et a relevé simultanément un deuxième défi : celui d’élever en fût une partie de ses vins. Avec tact pour que la minéralité du Chablis ne soit pas écrasée par le chêne, comme dans son Fourchaume Les Vaupulans. « J’aime la finesse du vin, pas celle du bois », explique le vigneron qui utilise de grands fûts de 500 litres pour que le chêne « se fonde » dans ses vins ronds et ne joue pas des coudes avec le terroir kimméridgien pour prendre le dessus.
Guillaume pense déjà au coup d’après. Lennon aurait dit de lui qu’il a rejoint le camp des « rêveurs ». Dans trois années quand il retrouvera le label bio, quand il se sera relevé des millésimes éprouvants de 2016 et 2017, il pourrait s’attaquer à un nouveau défi : la biodynamie. « Ça me tenterait bien », confesse-t-il. D’autant qu’il avait fait son stage chez André Mireille Tissot, dans le Jura, un domaine qui a rejoint depuis les disciples de l’école de Rudolf Steiner. Guillaume y est retourné récemment. Il en est revenu séduit, même s’il n’entend pas pousser jusqu’à remplacer les fils de fer dans les vignes par des échalas en bois. Mais s’il franchit le pas, ce sera pour ses trois filles. Son rêve est de leur transmettre des vignes en pleine santé.
Guillaume a des rêves, mais il a tellement les pieds dans ses vignes qu’il en oublie de parler de la renommée de ses vins. Il faut pratiquement lui tirer les vers du nez pour apprendre que son vin participe au festival Festival de Cannes. Les stars peuvent l’apprécier au Park 45 le restaurant étoilé du Le Grand Hôtel, Cannes, avant la montée des marches… avec modération pour ne pas trébucher. Ok, ce n’est pa du Lennon, mais c’est la chute de cet article.
Par Antonio Rodriguez ChablisNews

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